17/11/2007

Partir, revenir

Je suis dans le 4x4 qui vient de me récupérer à l’aéroport de Juba. Il fait une chaleur étouffante. J’ouvre la fenêtre : aucune différence. Ca me frappe, on roule tellement lentement en raison de l’état de la « route » (piste), de cette « rue » de Juba, il n’y a aucun courant d’air. C’est à ce moment que je me suis senti de retour au Soudan. J’avais oublié qu’il n’y avait pas de route ici. J’avais oublié après 2 semaines « au paradis », entre Nairobi et Kigali… L’aéroport de Juba déjà m’avait servi de piqure de rappel : tous ces grands gaillards, en uniforme, la « kalach » en bandoulière pour certains, le visage fermé, d’une dureté difficile à sonder. Mais c’est ce manque d’air en roulant en voiture qui me fait prendre conscience que les vacances sont finies.

Au total, j’ai passé 3 semaines en dehors de Malakal, entre Juba, Nairobi et Kigali. Réunion de coordination à Juba, meetings avec toute l’équipe Handicap, c’est sympa de se retrouver, de se rencontrer, de partager ses expériences. 4 jours à Nairobi ensuite, pour le travail. Je me fais plaisir, je vais au supermarché : un vrai, attention ! L’opulence me donne le tournis, me fait sourire niaisement ! J’achète du pain frais, de la salade verte, du jambon (quel bonheur !) et je végète sur le canapé de l’incroyable appartement du Chef de Mission Handicap au Kenya. On est à des années lumières de Malakal.

Kigali n’a pas changé ou presque. Quelques immeubles ont poussé comme des champignons, aidés en cela par les ingénieurs chinois qui ont envahi l’Afrique. Je retrouve Stephanie dans sa belle maison de Kimihurura. Je retourne voir les collègues de Right to Play, Seraphine, Eric, Vestine, Fred. Je croise mes anciens chauffeurs de taxi et on se tombe dans les bras, Laurent, Joel, Bosco. Je retrouve Willy, compagnon de tant de soirées « en famille » il n’y a pas si longtemps, Corrie, du « Butare crew ». On va au resto, je me balade, je vais (enfin) au mémorial, je me repose, je recharge les batteries. Mes yeux reprennent vie en scrutant l’horizon : enfin des collines, des formes, des couleurs. C’est une des choses les plus difficiles et les plus fatigantes pour le cerveau à Malakal : tout est plat, uniforme, il n’y a aucune perspective. Kigali est tellement calme, propre, reposante, facile… Drôle d’impression. Alors que je sais, pour en avoir fait l’expérience, que le Rwanda n’est vraiment, vraiment pas un endroit facile.

Mais le temps passe trop vite et mes 12 jours de vacances sont déjà derrière moi. Retour au Soudan, dans ce 4x4 rutilant qui n’avance pas ou presque. L’équipe Handicap à Juba n’a pas quitté le pays. Les visages sont fatigués, mais le moral est là. On rigole ensemble le soir, on oublie un peu les tracas de la journée. Je consulte mes mails, 3 semaines d’absence de Malakal et le bilan est à la fois décourageant mais attendu :

- 2 démissions au sein de mon staff

- un gardien piqué à 22h par un scorpion et transporté dard-dard à l’hôpital

- un membre du staff qui fait un malaise en plein meeting et perd connaissance

- mon chauffeur arrêté un état d’ivresse avec notre véhicule, incarcéré pendant 6 jours, renvoyé bien sur.

Voilà, je reviens pour tout ça. Mais aussi et surtout pour le projet MRE, d’Education aux dangers des mines. J’ai plus de temps depuis l’arrivée d’Ikwawe, nouveau collègue venu en soutien et qui a pris en charge toute l’administration et la logistique. Alors j’accompagne enfin l’équipe sur le terrain. En voiture, direction le champ de mines de Malakal. Plongée dans des quartiers de Malakal que je ne soupçonnais pas.

C’est la brousse, les herbes sont hautes, le soleil tape fort, les tukuls (maisons traditionnelles en terre avec toit de paille) s’éparpillent jusqu’en bordure du champ de mine, parfois dedans. Les enfants sont partout. La misère aussi, extrême. On va de maison en maison pour inviter les gens à venir assister à notre session d’information sur les dangers des mines et les comportements à adopter pour limiter les risques. On s’assoit en cercle sous un acacia, les enfants sont les plus nombreux. La présentation commence, à grand renfort de posters et de photos. Je n’y comprends pas grand-chose, mon arabe étant toujours affligeant… Je lève les yeux et je pense aux mines, juste là, à quelques mètres, et au fait que les gens ont appris à vivre avec, fatalement. Je regarde autours de moi. Plein de sentiments se bousculent, un peu comme lors de mes visites des camps de réfugiés du Rwanda et de l’Ouganda : un peu de honte d’être un nanti, un peu de joie de vivre une telle expérience, beaucoup de tristesse devant la dureté des conditions de vie de ces gens, un peu d’espoir que notre travail serve à quelques uns… Je suis de retour au Soudan, pas de doute.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

un bon papier... on sent que tu as pris un peu de repos et que tu as retrouvé du tonus... garde la main, keep cool !
pas beaucoup de commentaires récents sur ton blog, mais sois rassuré : il est lu. toute l'Australie de l'Ouest a déjà reçu la traduction, et a exprimé son admiration...